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Rwanda, génocides, guerres « ethniques », guerres de « religions », position de la France.

Par Daniel Le Scornet

11 septembre 2019

Il y a trois mois interrogeant par courrier le Président de la République sur les actes qu’il devrait prendre en 1995 concernant la reconnaissance des responsabilités de la France au Rwanda, F. Hollande avait bien voulu me faire, le 19 février, une réponse personnelle m’indiquant que « j’ai donné aux différentes administrations concernées des instructions pour qu’elles procèdent à la déclassification des documents portant sur les relations franco-rwandaises entre les années 1990 et 1994, afin que le travail des chercheurs et des historiens sur cette période puisse être réalisé ».
J’en ai averti alors un certain nombre d’historiens comme d’associations parties prenantes d’affaires judiciaires en cours afin qu’ils me fassent savoir si les pièces nécessaires à leurs recherches ou leurs actions leurs étaient désormais toutes accessibles, puisque F. Hollande m’assurait personnellement de la grande généralité de sa décision.
L’annonce officielle le 7 avril, jour anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda, de la « déclassification » des documents de l’Elysée relatif à cette période est donc une vraie satisfaction.
Reste à savoir si, comme le Président de la République me l’annonçait dans ce courrier du 19 février, l’ensemble des pièces et des administrations sont concernées. D’où ma volonté inentamée d’en avoir le cœur net auprès des historiens et des associations parties civiles. Au-delà de l’ouverture des archives rester à savoir si l’État français va reconnaître – comme il l’avait fait tardivement mais courageusement en 1995 (40 ans après) pour ce qui concerne le génocide des juifs en Europe – ses responsabilités quant au génocide des Tutsi au Rwanda (Il y a 21 ans). Car personne ne peut plus faire comme si les responsabilités de l’État français et de son armée n’était pas déjà très documentées et qu’il s’agissait de s’en remettre à l’histoire longue pour « faire la vérité ».
C’est le sens de ma signature avec cinquante autres personnalités nationales et internationales de la lettre ouverte au Pt de la République rendue publique le même jour en France, en Allemagne et au Rwanda. Alors que F. Hollande va fortement marquer de sa présence, le 24 avril, le centième anniversaire du génocide du peuple arménien à Erevan, rappeler à R. Erdogan qu’on ne pouvait se satisfaire des condoléances adressées aux petits enfants d’arméniens l’année dernière par l’État Turc, le fait que la France n’ait pas même, elle, présenter ses excuses au peuple rwandais apparaît profondément surréaliste et indigne. En cette année 2015 (consacrée par sa grande cause nationale à la de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, au soixante-dixième anniversaire de la libération des camps d’extermination nazis) on ne peut pas attendre de nouveau le 7 avril de l’année prochaine pour espérer un nouveau (petit) pas… ou un nouveau (grand) recul comme lors du vingtième anniversaire l’année dernière.
Ayant eu l’occasion durant ses derniers jours de présenter dans leur établissement scolaire à des écoliers de troisième et de terminal la genèse et la perpétuation du génocide des tutsi au Rwanda j’ai pu mesurer combien la connaissance des logiques de ce génocide répondait à une attente plus vaste de clarification des conflits et des barbaries actuels. La mise en perspective comparée des trois « grands » génocides, arménien, juif, tutsi, (étude comparée remarquablement traité au mémorial du camp des Milles à Aix en Provence par exemple) permet en effet de déconstruire toute perception « exotique », « occidentaliste ». Perception qui nous conduit encore à lire le réel, notamment africain, sous les seuls modèles de la sauvagerie, de la barbarie, sous le seul filtre ethnique et religieux. Modèles, filtres qui ont conduit les plus hauts responsables politiques, administratifs et militaires français de l’époque à s’avancer sans plus de gêne et de remord dans le soutien, la formation, l’armement jusqu’au bout d’un régime d’apartheid racial, fasciste, criminel. Qui permettent aujourd’hui à celles et ceux qui poursuivent leurs carrières en France (en premier titre H. Védrines et A. Juppé) de défendre encore en toute impunité leurs actes d’alors. A Laurent Fabius de pouvoir encore répondre par le déni à la question orale de N. Mamère à l’Assemblée Nationale sans que les députés de gauche ne se soulèvent contre cette nouvelle indignité !
Toute contextualisation historique et géographique différente, que ces trois génocides se soient générés et développés suivant exactement les mêmes mécanismes et les mêmes modes opératoires surprend et impressionne tous les auditeurs. L’hallucinante barbarie déployée dans l’extermination des groupes humains voués à la disparition jusqu’au dernier de leurs membres – si l’on ne prend que ce seul mais terrible aspect – s’avère équivalente et souvent identique quant aux effroyables moyens et justificatifs mis en œuvre, que ce fut en Anatolie, en Europe en ou en en Afrique.
A la question souvent posée par les élèves, « mais comment les Tutsi et les Hutu peuvent-ils revivre ensemble ? » je leur ait proposé de décentrer leur regard, de réfléchir à l’interrogation qui peut être celle de leurs alter égo africains lorsqu’ils s’interrogent sur la capacité qu’ont les européens de vivre et de s’unir ensemble après notre (nos) grande (s) catastrophe (s) à nous.
A la lecture de cette histoire si proche, non encore assumée, on voit combien il est désolant de continuer et même de renforcer, la lecture du monde sous la grille simpliste, voire raciste des guerres ethniques, des guerres religieuses (aujourd’hui la trop fameuse inimitié pluriséculaire chiites/sunnites) Ceci sans chercher à comprendre et à faire comprendre quelles sont les constructions sociales, culturelles, politiques, de puissance – des pays concernés comme des pays occidentaux y intervenants – qui conduisent chaque fois, dans des genèses toujours spécifiques et jamais inéluctables, à pousser au-delà du seuil d’inhumanité des différences longtemps pacifiquement acceptées entre les populations.
Assumer toutes les responsabilités de l’État et de l’armée française avant, pendant et après le génocide des Tutsi au Rwanda n’est donc pas de simple justice et d’honneur national. Il s’agit aussi d’un travail pour nous débarrasser de tous les préjugés, de tous les intérêts purement nationalistes, de puissance (souvent cachés sous les déclarations humanitaires et universalistes) qui a conduit, il y a si peu de temps, la France a soutenir, à armer jusque durant le génocide un régime raciste et criminel. Au moment où la France intervient militairement comme jamais, cette mise à jour démocratique devient absolument vitale tant en politique extérieure qu’en politique intérieure.
Nos interventions armées propres ; notre appui logistique et nos ventes d’armes échevelées (cette terrible affaire de la vente miraculeuse au dictateur égyptien Sissi de nos premiers Rafales !) à des régimes et des armées particulièrement disqualifiées au niveau des droits humains (Tchad, Egypte, Arabie Saoudite…) et habiles à manipuler nos préjugés, fantasmes, glorioles et intérêts nationalistes, militaires, mercantis propres ; notre soutien sans faille au gouvernement extrême droitier israélien qui nous conduit à freiner faute de pouvoir encore l’empêcher un accord historique équilibré avec l’Iran ( seule initiative politique fondamentale –non basée sur une intervention armée – de détente sur le front majeur du Moyen-Orient) gagneraient grandement à être perçus sous la lumière crue du rôle de l’État et de l’armée français lors du génocide des Tutsi au Rwanda. Car, pour ma part, je ne pense pas que soient seulement en cause, à l’époque, les errements d’une poignée de hauts responsables politiques et militaires sans incidences persistantes, non démocratiquement déconstruites, sur nos politiques de puissance très actuelles.

Ce texte est disponible sur le blog de Daniel Le Scornet : http://lescornet.fr/blog/2015/04/10/rwanda-genocides-guerres-ethniques-guerres-de-religions-position-de-la-france/